La France a caché le véritable impact de ses essais nucléaires dans le Pacifique. Les Polynésiens le disent depuis un certain temps, Paris ne s’est jamais excusé formellement pour les « dommages collatéraux » de ces expérimentations menées autour et sur les plus beaux et les plus préservés atolls du monde. Nombreux sont ceux qui attendent à la porte le président Emmanuel Macron, en visite dans l’archipel polynésien depuis lundi depuis quatre jours : sa première visite en territoire d’outre-mer. Dans les trente années de 1966 à 1996, la France a construit dans ses territoires polynésiens – notamment dans les atolls de Mururoa et Fangataufa – 193 expériences nucléaires, dont 46 atmosphériques et 147 souterraines.
Mururoa est la pointe d’un volcan éteint qui s’étend sous le niveau de la mer jusqu’à une profondeur de 3000 mètres. En 1995, après le premier essai nucléaire de la dernière série voulu par Paris dans son territoire d’outre-mer, sur cet atoll corallien de l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française, une poignée de journalistes internationaux ont également débarqué après des jours de navigation, dont le correspondant de messagerie qui écrit ces lignes (lire un des rapports de l’époque des archives du Corriere): nous étions en état d’arrestation, capturés en haute mer par les forces spéciales françaises, comme tous les autres témoins à bord du voilier Greenpeace qui avait franchi la ligne d’interdiction invisible à la suite de l’explosion d’une bombe.
Aujourd’hui comme alors, zone militaire de Mururoa, contrôlée par la Légion étrangère. À l’intérieur du volcan, à une profondeur d’environ 500 mètres, 138 explosions nucléaires ont été produites au fil des ans. On a calculé que chaque explosion créait une sphère de roche fracturée de 200 à 500 mètres de diamètre, selon l’énergie de la bombe ; la puissance accumulée depuis 1975 à Mururoa correspond à 200 bombes de type Hiroshima.
La piste d’atterrissage sur l’atoll militarisé de Mururoa
Deux mille documents clarifient les responsabilités
Une étude, publiée en mars dernier, établit enfin assez clairement les responsabilités. Les chercheurs ont utilisé quelque 2 000 documents militaires déclassifiés, des calculs et des témoignages pour reconstituer l’impact d’une série de tests. Ils ont estimé que environ 110 000 personnes en Polynésie française ont été touchées par les retombées, soit la quasi-totalité de la population à l’époque, souligne l’étude menée en collaboration entre le site d’information français Disclose, des chercheurs de l’université de Princeton et la société britannique Interprt.
L’impact « le plus contaminant » s’est produit entre 1966 et 1974, avec des tests dans l’atmosphère. En particulier, à l’occasion des 41 essais, qui ont eu lieu sur l’atoll de Mururoa le 17 juillet 1974, lorsque le nuage atomique a pris une trajectoire différente de celle prévue. Environ 42 heures après l’explosion – nom de code Centaur – les habitants de Tahiti et des îles environnantes du groupe Windward ont été soumis à des quantités importantes de rayonnements ionisants., indique le rapport. La région comptait 110 000 habitants et la principale ville de Tahiti, Papeete, comptait à elle seule 80 000 habitants.
Le moratoire de Mitterrand, le choix de Chirac
Suite à une forte pression internationale, la France abandonne en 1974 les essais atmosphériques qui avaient caractérisé les vingt premières années d’expérimentations et entame des essais souterrains en forant le sol de l’atoll et en faisant exploser la matière nucléaire. En 1992, le président français François Mitterrand décrète un moratoire sur les expérimentations, mais en juin 1995, un mois seulement après son arrivée à l’Elysée, Jacques Chirac annonce la reprise des essais. En 1996, après six des huit tests prévus, le président français a annoncé la fin de la campagne et a signé le traité international interdisant les essais nucléaires. (lisez la suite après les liens et la photo)
Un essai nucléaire de 1970 à Mururoa (photo Afp) : des études scientifiques ont lié les expériences à la forte incidence de tumeurs thyroïdiennes dans la population polynésienne
Selon l’enquête, le rayonnement résultant des essais français était de deux à dix fois supérieur aux estimations fournies par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) dans un rapport de 2006. Une raison, selon les résultats, pour laquelle le CEA n’a pas toujours pris en compte la consommation d’eau de pluie contaminée dans le calcul de la dose de rayonnement à laquelle les individus sont susceptibles d’être exposés. Catherine Serda, qui était une enfant au moment des tests, a déclaré à la radio France Inter que huit membres de sa famille ont contracté un cancer. Ce n’est pas normal. Pourquoi avons-nous tant de cancers là-bas. Déjà à l’occasion du vingtième anniversaire, en 2015, les demandes d’indemnisation avaient été un sujet de conflit entre la Polynésie et le gouvernement français, comme le messagerie racontée dans cet Extra de l’édition numérique (pour lire cliquez ici).
Seuls 63 citoyens indemnisés par Paris
Le président de la commission française d’indemnisation des victimes nucléaires, Alain Chrisnacht, a déclaré aux médias français que l’impact sur la région de Tahiti avait déjà été documenté et un grand nombre de demandes d’indemnisation avaient été acceptées. Le rapport indique cependant que seuls 63 civils polynésiens ont été indemnisés jusqu’à présent.
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