Le grand discours de Macron sur Napoléon Bonaparte

La France ne nie pas son histoire, elle avance dans son histoire. Une ode à la volonté politique et à la liberté. « ‘De Clovis au Comité de Santé Publique, je revendique tout’, disait Napoléon. Nous aussi, aujourd’hui, nous revendiquons tout »

Nous publions le texte du discours prononcé devant le président français, Emmanuel Macron, à l’Institut de France à Paris à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte.

Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Mesdames et Messieurs, chers lycéens, merci pour cette invitation et pour la délicatesse avec laquelle vous avez mis tout en œuvre pour accueillir cette commémoration. Je suis heureux de vous retrouver dans cet endroit. « Les seules réalisations qui ne laissent pas d’amertume dans l’âme sont celles qui sont remportées contre l’ignorance ». Si je cite cette phrase, ce n’est pas seulement parce qu’elle a été écrite par Napoléon Bonaparte le jour de son élection ici à l’Institut, le 25 décembre 1797, mais parce qu’elle décrit en quelque sorte ce qui nous rassemble tous ici, chacun de nous, sur la occasion de ce bicentenaire : le combat contre l’ignorance, l’amour du savoir et de l’histoire et la volonté de ne pas se rendre à ceux qui veulent effacer le passé sous prétexte qu’il ne correspond pas à l’idée qu’ils se font du présent.

Non, Napoléon Bonaparte fait partie de nous, c’est parce que prononcer son nom continue de faire vibrer partout mille cordes de notre imaginaire : les coups de canon de la campagne d’Italie, les glaives d’Austerlitz, les supplications tremblantes des soldats de la Grande Armée engagés dans Campagne de Russie. Napoléon Bonaparte fait partie de nous car l’action et les leçons du guerrier, du stratège, du législateur et du bâtisseur sont encore conservées dans notre siècle. C’est qu’au fur et à mesure que son mythe s’est construit, elle est devenue cette partie de la France qui a conquis le monde. Chateaubriand, dont vous avez rappelé la relation tumultueuse avec l’Empereur, a saisi ce paradoxe dans des termes qui résonnent encore aujourd’hui : « De son vivant il a perdu le monde, il le possède à sa mort ».

Vous êtes lycéens et nous devons quelque chose à Napoléon pour le lycée lui-même, pour les écoles que vous fréquenterez plus tard, l’université ou la grande école. Pour venir ici à l’Institut de France vous avez traversé Paris et vous avez probablement dépassé l’Arc de Triomphe, l’église de la Madeleine, la colonne Vendôme, le pont d’Austerlitz ou d’Iéna, vous avez arpenté la rue de Rivoli : ces chefs-d’œuvre architecturaux aussi nous devons eux à Napoléon. Ils sont là, vivants. Et bien peu de destins, il faut le dire, ont forgé autant de vies au-delà de la leur. C’est ce qui nous pousse à nous rassembler en ce jour pour ne pas nous laisser aller à une célébration exaltée comme l’ont fait les Parisiens en 1840 au retour des cendres de l’Empereur, mais pour une commémoration éclairée, pour regarder notre histoire en face, et dans son ensemble. Dire en tant que nation ce que Napoléon dit de nous et ce que nous avons fait de lui.

Napoléon, en 1802, rétablit l’esclavage que la Convention de 1794 avait aboli. En 1848, avec Victor Schoelcher, la IIe République répare cette erreur, cette trahison de l’esprit des Lumières. Il honora au Panthéon tous ceux comme Toussaint Louverture et l’abbé Grégoire qui tenaient haut l’honneur de l’universalisme. Napoléon, dans ses conquêtes, ne s’est jamais vraiment soucié des pertes humaines. Chateuabriand ira jusqu’à l’accuser d’avoir sacrifié avec force et exagération, il faut le dire, cinq millions de Français. Goya a immortalisé le massacre sanglant de civils espagnols en 1808.

Depuis lors, nous avons placé la valeur de la vie humaine au-dessus de tout, à la fois dans les guerres et dans les pandémies. Napoléon, fidèle à l’esprit de 1789, inscrit l’égalité civile entre les êtres humains dans le Code civil, la protection de la loi pour tous dans le Code pénal. Nous avons poursuivi ce travail de progrès en agissant pour l’égalité entre les femmes et les hommes et en retirant du Code pénal la plus cruelle des peines : la peine de mort. De même que nous avons élargi la voie du mérite tracée avec le baccalauréat, en ouvrant progressivement notre système éducatif à un plus grand nombre de personnes. Après tout, nous avons rejeté les pires choses de l’Empire, et de l’Empereur nous avons gardé les meilleures.

Commémorer ce bicentenaire, c’est dire ces choses simplement, sereinement, sans jamais céder à la tentation du procédé anachronique, qui consisterait à juger le passé avec les lois du présent, mais en retraçant ce que nous sommes, Français : une société historique, une pays qui existe depuis longtemps, qui avance sans annuler, sans nier ou nier, mais sans cesse réinterpréter, reconnaître, essayer de comprendre. Une nation qui reçoit des héritages sans testament, en tant que peuple libre. « De Clovis au Comité de santé publique, je revendique tout », dit Napoléon. Nous aussi, aujourd’hui, nous revendiquons tout.

Mais la vie et l’œuvre de Napoléon ne sont pas seulement valables pour ce que nous avons fait d’eux en tant que nation. Si son rayonnement est sans frontières, si son éclat résiste à l’érosion des années, c’est qu’en incarnant l’universel, sa vie porte en quelque sorte en chacun de nous un appel intime fait de vertus anciennes et de paradoxes contemporains. La vie de Napoléon est avant tout une ode à la volonté politique. A ceux qui croient que les destins sont déjà posés, que les existences sont écrites d’avance, le parcours du fils d’Ajaccio devenu maître de l’Europe montre bien qu’un seul homme peut changer le cours de l’histoire. Effaçant ses décisions, son génie militaire, son énergie, ses solutions tactiques à Toulon, Austerlitz, Friedland ou Wagram, le visage du monde d’hier comme celui d’aujourd’hui a été changé. Imaginez si les attentats de la rue Nicaise ou de Vienne avaient réussi : le sort de la France n’aurait pas été le même. Nous aimons Napoléon parce que sa vie a le goût du possible. Car c’est une invitation à prendre des risques, à faire confiance à l’imaginaire, à être pleinement soi-même. La vie de Napoléon est aussi un chant de raison. Il était probablement de ceux qui ont mis en pratique de la meilleure façon l’héritage des Lumières, la foi en la science, l’art d’organiser et tout l’héritage du XVIIIe siècle. Au Mémorial de Sainte-Hélène, sont décrites ses extraordinaires capacités en mathématiques, ses traités d’arithmétique et de physique dévorés, les jours et les nuits consacrés aux travaux de stratégie militaire. Gaspard Gourgaud, l’un de ses compagnons d’exil, dira même de l’Empereur qu’il s’agissait d’un système Spinoza. Mais au-delà de sa construction personnelle, Napoléon a voulu que la science, la raison et la technologie irriguent le pays dans son ensemble pour le conduire sur la voie du progrès. Il y a eu la réforme de l’École polytechnique, qui a donné et donne encore à la France des générations d’ingénieurs du plus haut niveau, pour l’art militaire il y a eu Saint-Cyr, qui a formé et continue de former de brillants officiers.

Napoléon lui-même a voulu contribuer au progrès des connaissances et de la recherche scientifiques. La campagne d’Egypte, pour citer un exemple, fut encore plus une expédition scientifique qu’une conquête militaire.

Napoléon rassembla plus de 150 mathématiciens, chimistes, géomètres, architectes, médecins, botanistes parmi les plus célèbres de son temps pour former une commission pour la science et l’art qui avait pour mission d’étudier la civilisation, la faune, la flore et les techniques d’administration de l’Egypte. Il l’a fait et lui a permis de trouver une quantité de connaissances utiles à tous.

Enfin, la vie de Napoléon est une épiphanie de la liberté, malgré ses paradoxes, malgré tout ce qui a été justement reconstitué ici ainsi qu’à la manière dont il a géré la liberté d’autrui. Mais si Napoléon est le premier des romantiques ce n’est pas seulement parce qu’il a fasciné le tsar Alexandre lors de leur rencontre à Erfurt, ce n’est pas seulement parce que Stendhal l’a adoré ou parce qu’il a été immortalisé en tableaux, au pont d’Arcole et ou avec ses cheveux en le vent. . Non, ce n’est pas pour cette raison, mais parce qu’à chaque fois, à chaque instant et dans chaque aspect Napoléon a réinventé son existence, et ils étaient tous infiniment libres.

Une force qui va. C’est donc dans ses amours qu’il s’est toujours mis en place en prenant soin de son cœur, jusqu’à son divorce après avoir été couronné par le Pape. Il en va de même pour son génie militaire fait d’une grande maîtrise, de stratégies et de l’art de se déplacer par surprise.

Il en va de même de ses faiblesses ou de la mélancolie de Sainte-Hélène. Et pour ses contradictions : individualiste qui a su fédérer, lucide, inconscient, despote, éclairé. Napoléon était capable de grandeur absolue, de modestie provocatrice, de succès de rêve et d’énormes défaites. Il était l’incarnation de la liberté autant que de la répression policière, il pouvait être en même temps « l’âme du monde » décrite par Hegel dans la rencontre d’Iéna et le démon de l’Europe, revers fatal de sa liberté sans limites.

Ce que Napoléon représente dans la construction de cette nation se trouve ici où je suis maintenant. Napoléon est l’homme qui a façonné notre organisation politique et administrative, qui a façonné la souveraineté retrouvée qui avait été produite par la Révolution. Et le débat sur son héritage divisait ses contemporains comme il le fait encore aujourd’hui.

Napoléon a su donner une forme durable à l’intuition ingénieuse de la Révolution sur la souveraineté nationale. Il a très vite compris la nécessité de répondre au vertige de la fin de la loi divine, en la remplaçant par une autre légitimité, une autre transcendance. C’était pour lui le peuple français. Tout ce qui est fait au nom du peuple est légitime. Mais derrière ce peuple français si fortifié, si esquissé comme un nouveau foyer de souveraineté nationale, d’une transcendance si retrouvée, il y avait naturellement les libertés démocratiques, il y avait aussi la forme de l’État. Un État qui a travaillé avec les préfets et les maires de tout le pays afin de maintenir une nation avec toutes ses institutions qui fonctionnent bien.

Napoléon comprit aussi qu’il devait rechercher sans relâche l’unité et la grandeur du pays. Il l’a fait avec la guerre, répondant aussi à la soif française d’universel en projetant un modèle révolutionnaire au niveau européen. Il l’a fait en conciliant les grandes religions avec le Concordat, il l’a fait par les arts, il l’a fait en voulant trouver une réconciliation entre ce que la Révolution avait fait sortir du sang. Et s’il n’a jamais renoncé au principe du mérite et de l’égalité d’accès aux charges, Napoléon a aussi été l’artisan de l’amnistie d’un parti de monarchistes, d’une unité incarnée dans son propre gouvernement. Au fond, il était l’acteur résolu d’une synthèse nationale qui se concrétisait dans les symboles de sa propre sacralité.

Sa dernière intuition fut de combler le vide laissé par le vrai chiffre le 21 janvier. La solution est un oxymore extraordinaire, la république d’un empire, et Napoléon devient l’empereur des Français. Pour des ambitions personnelles, certes, et pour la volonté absolue d’enfoncer tout aussi sûrement la Révolution dans le temps qu’elle a vécu.

Les Français en 1789 ont fait le plus grand effort jamais fait par un peuple, coupant leur destin en deux, échappant à l’abîme de ce qu’ils avaient été jusqu’alors et de ce qu’ils auraient voulu être à partir de ce moment-là. Le génie de Napoléon fut d’aider les Français à rompre définitivement avec ce qu’ils avaient décidé d’abandonner en 1789 et à franchir cet abîme. Cependant, Napoléon ne pouvait pas célébrer la Révolution et en même temps empêcher les Français de jouir de la liberté et en ce 1789 était plus fort que Napoléon.

Vous êtes lycéens, et en tant que français vous rejoignez également cette histoire. Vous n’êtes ni responsable ni gardien, vous pouvez l’aimer ou le critiquer, mais vous devez le savoir, l’apprendre. C’est ce qui vous construit, un viatique pour affronter ce siècle : il fait partie de vous et c’est à vous de le continuer. Alors sans aucun doute, la vie de Napoléon et ses lumières et ses ténèbres n’ont pas encore livré tous leurs secrets, mais incontestablement elle continue de nous forger et le soleil d’Austerlitz brille toujours.

Vive la République, vive la France.

Louie Roy

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