Buffalo Bill à Trieste protagoniste d’un essai de l’Université de Prague

23.12.2021 – 07.01 – Entre le XIXe et le XXe siècle, à côté du cirque traditionnel et des animations de foires, le expositions ethnologiques, qui visait à illustrer les coutumes et coutumes de tribus et de peuples éloignés. Il ne s’agissait pas d’expositions anthropologiques ou de musées, car la forme prise par ces expositions était celle de zoo ou divertissement: spectacles publics où les peuples autochtones se produisaient dans des environnements tels que le cirque ou vivaient pendant une courte période dans une reconstitution de leurs environnements (le village africain, le village japonais, les tentes indiennes, etc. etc.). Dans ces cas plus extrêmes, les savants utilisent le nom de « zoo oumani», particulièrement adapté à la période de la course coloniale entre les XIXe et XXe siècles. Les zoos humains n’avaient en réalité ni un caractère scientifique ni un caractère anthropologique ; le caractère ostentatoire de étrangeté, l’« autre » exotique exposé avait pour fonction de renforcer l’identité victorienneCe n’est pas un hasard si les réactions des journalistes et intellectuels de l’époque nous en disent bien plus sur l’identité occidentale que sur la personnalité des habitants de ces « zoos », dont l’étrangeté reste absolue. Dans ce champ d’étude, jusqu’alors limité aux cercles anglo-américain et français, l’essai « Altérité mise en scène. Spectacles ethniques en Europe centrale et orientale, 1850-1939» (Ceu Press, 2022) qui vise à approfondir le thème des expositions ethnographiques et des zoos humains en Europe centrale et orientale, avec une attention particulière à l’Empire austro-hongrois. Et cela ne manque pas non plus dans cette revue d’Europe centrale Trieste, traité depuis chercheur de l’Université de Prague Andreja Mesarič ce n’est pas par hasard qu’il écrit en se référant à la ville julienne de la « banlieue des Habsbourg ». L’essai, cependant, ne se limite pas à transporter le thème dans le monde slave et allemand, mais fait un pas de plus : le large répertoire d’essais entend montrer comment toutes ces expositions ethnographiques n’étaient pas attribuables au style du zoo humain, présentant un problème multiforme et complexe difficilement remontable au seul « racisme ».
Le volume complet sera disponible gratuitement en format électronique dans les prochains mois, à compter de janvier 2022 parmi Titres en libre accès.

Dans le cas du littoral autrichien, Mesarič s’est concentré, en raison de sa carrière universitaire, sur réaction de la population slovène, notamment à Ljubljana ; cependant Trieste lui-même qui a vu le passage en 1906 du « mythique » Spectacle du Far West de Buffalo Bill (13-15 mai). Un spectacle qui a marqué de manière indélébile l’imaginaire de Trieste, encore présent aujourd’hui dans la mémoire des petits-enfants à qui les arrière-grands-mères ont raconté les « Peaux-Rouges » arrivés à Trieste. Mesarič observe comment le spectacle de Trieste comprenait une collection hétérogène de « personnes » qui allaient des Bédouins aux samouraïs japonais, en passant par les Cosaques ; culminant avec les deux cents Amérindiens sous les ordres de (ancien) ennemi Buffalo Bill.
La recherche universitaire relie désormais ce type d’expositions ethnographiques aux guerres coloniales en cours ; par exemple, pendant la révolte du Mahdi en Egypte, les zoos humains des « Ashanti » ont été tenus ; pendant la guerre anglo-zouloue, les expositions sur les coutumes africaines prédominaient ; le spectacle de Buffalo Bill lui-même était une expression deL’impérialisme américain et glorifié la victoire absolue sur les Amérindiens. Ayant rendu l’ennemi impuissant, il est devenu possible de le romancer et même de proclamer la nécessité de préserver ses coutumes et ses traditions.
Mesarič, cependant, pousse le discours à un niveau supérieur, observant comment, pour les Slovènes de Trieste et de Ljubljana, des expositions similaires ont permis de réaffirmer qu’on est « occidental » et qu’on est « civilisé »: face aux critiques nationalistes et slavophobes des Allemands et, dans une moindre mesure, des Italiens, les Slovènes ont utilisé ce genre d’expositions pour démontrer leur statut européen. Ce n’est pas un hasard si les journaux slovènes ont explicitement parlé des « Indiens rouges » qui étaient des « barbares » et des « non civilisés », comme pour contrecarrer ceux qui écrivaient sur la « barbarie slave ». En ce sens, en regardant aussi les zoos humains et les expositions à Vienne, des événements similaires ont permis de compacter le fragile tissu multiethnique et multinational de l’Empire austro-hongrois sous couvert de progrès. La comparaison avec les États-Unis et sa mosaïque d’immigrants multinationaux partageant la lutte contre les « barbares » indiens est particulièrement pertinente en ce sens.

[z.s.]

Marceline Desjardins

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