Selon une idée répandue, ils sont cycliquement tentés de bouder les palais italiques du pouvoir et la classe dirigeante locale. Aussi pour cette raison, en écoutant les déclarations ou en lisant les gros titres des hommes politiques et des médias français cet automne, certains observateurs italiens pourraient même tomber de leur chaise. Dernier cas, celui de Figaro, journal conservateur de référence, sensible à une certaine conception orgueilleuse des prérogatives françaises en Europe et dans le monde. Un journal dans le passé qui n’a pas toujours été tendre envers notre pays et ses qualités de leadership continental.
Mais les temps semblent avoir changé, étant donné que désormais, pour le Figaro, l’unité de l’UE meurtrie doit faire appel à l’accord Paris-Rome : « Un nouvel axe fort avec Macron pour relancer l’Europe », titrait le journal ces derniers jours. dans une analyse approfondie sur 3 pages consacrées à la « révolution Draghi » et à la manière dont « elle a redonné un lustre durable aux armoiries italiennes ». Entre le président Emmanuel Macron et le Premier ministre Mario Draghi, « l’accord est parfait », peut-on lire, aussi parce qu' »ils partagent un centrisme libéral pragmatique, au-delà des partis ». Cette approche pourrait être moins dans l’ADN de la « coalition des feux de circulation » qui se profile en Allemagne. De son côté, le journal français des sphères économiques, « Les Echos », a publié une analyse approfondie intitulée : « Comment l’Italie a retrouvé le « goût de l’avenir » avec Mario Draghi ».
L’intérêt voire l’admiration pour les dirigeants italiens progresse également dans la classe politique française, plus que jamais disposée à citer le Bel Paese comme terme de comparaison positif. Pensez aux éloges du garde des sceaux Éric Dupond-Moretti envers la collègue italienne Marta Cartabia, sur fond de tournant parisien dans le nœud épineux des anciens terroristes italiens des années de plomb longtemps protégés en France : un symbole fort, globalement, de la coopération de redécouverte entre Rome et Paris. Même dans les couloirs de la diplomatie italienne en France, le tournant est volontiers évoqué, par rapport aux tempêtes bilatérales pré-pandémiques. Sans surprise, après une impasse prolongée, la préparation du traité du Quirinal proposé par Macron à Rome serait dans les tuyaux justement pour « codifier » et valoriser le potentiel de l’axe italo-français, sur le modèle du traité de l’Elysée entre Paris et Berlin.
Mais à quoi est lié le nouveau pouvoir de séduction de l’Italie aux yeux de Paris ? L’estime mutuelle entre les dirigeants à la barre compte certainement. Il suffit de penser aux échanges fréquents et approfondis entre Draghi et Macron. Ou l’accueil quasi triomphal réservé au président Sergio Mattarella lors de sa dernière visite d’Etat à Paris. Sans oublier les pas rares attestations d’estime en France envers le chef de parti qui a remporté le dernier Administratif en Italie, Enrico Letta, qui est resté à Paris jusqu’à l’hiver dernier à la tête de l’International Business School de Sciences Po, semi-universitaire -public inclus. parmi les premières forges de la classe dirigeante transalpine.
Un autre facteur clé concerne le nouveau scénario diplomatique continental. Après le choc du Brexit, un fossé s’est ouvert entre Paris et Londres, même à couteaux tirés sur les deux dossiers épineux des concessions de pêche aux bateaux français et les tentatives quotidiennes de traversée de la Manche par des migrants qui rêvent de débarquer en Grande-Bretagne. Mais les relations entre les bords du Rhin ne passent pas non plus par une phase simple, avec le départ d’Angela Merkel et toutes les inconnues du nouveau cap qui se lance à Berlin. Pour la France, en quête d’alliés forts au vu des projets de réforme institutionnelle européenne proposés par Macron, une lune de miel avec Rome devient une option souhaitable. A cet égard, une question reste ouverte : s’agit-il simplement d’une approche « stratégique » motivée par les projets européens franco-centrés à Paris, par exemple sur le front de la défense ? Difficile de répondre, tant la dynamique et les motivations de chaque « couple » peuvent changer rapidement.
Mais dans le cas italo-français, l’insistance aujourd’hui de bon nombre d’intellectuels et d’observateurs transalpins sur le ciment sous-jacent des affinités culturelles est également symptomatique. Bref, le thème ressuscité des « sœurs latines » : une expression qui continue de courir à travers les Alpes pour résumer le lien particulier, sur le plan historique et des échanges démographiques, culturels et religieux, entre les deux grands pays européens d’origine latine . Ainsi, il y a aussi ceux qui se demandent si l’enchevêtrement des crises en ce début de XXIe siècle (pandémie, défis écologiques, instabilité financière et énergétique) ne finira pas par restaurer des « liens familiaux » profonds entre certaines nations, peut-être longtemps éclipsés par des calculs géopolitiques. Parmi les versants des Alpes, à l’appui de cette hypothèse, il y a aussi le jumelage exclusif jamais renié (depuis 1956) entre les deux capitales, sous la bannière de la devise ronflante : « Seul Paris est digne de Rome et seul Rome est digne de Paris ».
Essayiste et chroniqueur de longue date bien connu sur les questions européennes pour « Radio France », José Manuel Lamarque nous pose la question en ces termes : « Sans toujours la reconnaître, l’Italie et la France se sont historiquement énormément influencées, même si aujourd’hui il n’y a pas encore d’axe économique à la hauteur de cette tradition.Le couple franco-allemand a été quelque peu romancé par les Français, l’Allemagne parlant plutôt de « partenariat », axe utile, surtout dans le sillage tragique de la Seconde Guerre mondiale. Mais l’axe Paris-Rome a de nombreux atouts pour devenir la plus belle alliance d’Europe, pour redonner confiance en l’avenir du Continent ».
Même pour le géographe et essayiste Jean-Robert Pitte, ancien recteur de la Sorbonne et aujourd’hui secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, le lien peut encore aller loin : « L’alliance italo-française – nous dit-il – est une nécessité pour rétablir ce que j’appellerais une belle Europe de la responsabilité joyeuse.Le couple franco-allemand a travaillé, mais les Allemands n’ont jamais réussi à convaincre les Français d’être sérieux sur le plan économique, sur les comptes publics, la dette, la fiscalité, l’apprentissage , l’emploi des jeunes. Il faut désormais espérer une renaissance de la sagesse en Europe du Sud ». qui peut conduire à l’anarchie et à la pauvreté ».