de notre correspondant
PARIS « Comédies françaises » d’Eric Reinhardt : c’est ainsi que la France, qui était à un pas de créer Internet, s’est retrouvée avec le Minitel. C’est l’époque de la traditionnelle rentrée littéraire, la période de l’année où le plus grand nombre de livres (plus de 500) sont publiés en France, et l’un des titres les plus intéressants concerne l’un des moments clés de la course technologique entre l’Europe et l’Amérique. «En 2013, je suis tombé sur une petite nouvelle de Libérer dans lequel il a été annoncé que un ingénieur français, Louis Pouzin, était sur le point d’être récompensé par la reine d’Angleterre pour avoir été « L’un des pères d’Internet« . Je me suis dit, « qu’est-ce que c’est que ça ? » Je savais qu’Internet était l’invention de génie des Américains d’Arpanet. Qu’est-ce qu’un ingénieur français avait à voir là-dedans ? ».
Le minitel français
Reinhardt a fait des recherches et a découvert que Louis Pouzin avait en effet inventé au début des années 1970. le datagramme, un système de transfert de données électroniques par paquets. L’idée derrière Internet. Le monde d’aujourd’hui serait différent si le gouvernement français avait soutenu et encouragé Pouzin. Au lieu de cela, en 1974, l’entourage du Président Valéry Giscard d’Estaing, tout juste arrivé à l’Elysée avec la promesse de moderniser la France, il écarte les recherches de Pouzin et il a préféré financer les expérimentations qui conduiraient au Minitel, la version autosuffisante et primitive d’Internet, une sorte de réseau confiné à l’intérieur des frontières nationales, utile pour les horaires de train, les annuaires téléphoniques, les messages érotiques et bien plus encore.
Ce n’était pas une erreur innocente. Le protagoniste du roman de Reinhardt est un jeune journaliste de laAFP, Dimitri Marguerite, qui enquête sur cette erreur sensationnelle provoqué par les manœuvres d’Ambroise Roux, un personnage qui a vraiment existé. Roux était à la tête de la CGE (précurseur d’Alcatel Alstom) et était surnommé « le parrain des affaires » pour indiquer l’énorme réseau d’influence qu’il avait réussi à créer, capable d’atteindre jusqu’à l’Elysée. Pouzin a proposé ce mariage entre l’informatique et les télécommunications qui aurait été à l’origine d’Internet et de la fortune planétaire de la Silicon Valley ; il a trouvé sur son chemin cet ensemble de capitalisme d’affaires et relationnel, aveuglement et incapacité à prendre des risques, qui font partie de la caricature du Vieux Continent et malheureusement aussi de la réalité. Reinhard rencontre Louis Pouzin puis, à deux reprises, Maurice Allègre, haut fonctionnaire dans les années 1970, délégué général à l’informatique. Tous deux ont identifié dans le puissant Ambroise Roux l’homme qui – par intérêt personnel et protection des amis impliqués dans le projet Minitel – a convaincu le président Giscard d’Estaing de renoncer au projet européen « Unidata », ce qui aurait privé les Américains de la future primauté sur Internet. En attendant la traduction italienne, « Comédies françaises » est candidate pour figurer parmi les favoris du Prix Goncourt, le plus prestigieux prix littéraire français. Le livre de Reinhardt est le portrait de l’excellence scientifique des individus en Europe et de l’incapacité à les valoriser typique de nos sociétés.
23 août 2020 (changement 23 août 2020 | 18:05)
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